NANCY (FESTIVAL DE)

NANCY (FESTIVAL DE)

NANCY FESTIVAL DE

Le premier festival de Nancy a eu lieu en 1963, lancé par un étudiant en droit fou de théâtre, Jack Lang, entouré d’une équipe sans aucun moyen, mais ne ménageant pas sa peine. Le festival est alors réservé aux troupes universitaires européennes. Son impact et la publicité dont il s’entoure ne tardent pas à élargir son recrutement.

En 1964, Grotowski quitte pour la première fois la Pologne et vient à Nancy, non pour présenter un spectacle, mais pour parler des expériences de son Théâtre Laboratoire. En 1966, Chéreau y apparaît avec L’Héritier de village . Nancy concentre alors les courants les plus novateurs d’un théâtre échappant à l’université et aux institutions. C’est la première vague des «marginaux». Les références ne sont plus livresques. Elles viennent de la rue, saisie par l’agitation politique. 1967 et 1968 voient déferler des groupes iconoclastes qui déboulonnent les traditions, en détournent le sens à la manière des situationnistes, clament la révolte contre toute contrainte. Arrive bientôt l’underground américain, suivi de ses disciples: des équipes sans hiérarchie qui se veulent égalitaires, refusent le système commercial, pratiquent la création collective. Le Bread and Puppet joue ainsi dans la rue de courtes fables sur le Vietnam, avec des masques et des marionnettes de tailles diverses. Avec Fire , les masques lisses aux yeux bridés, les corps voilés de noir tordus en gestes lents, le silence désignent l’horreur indicible de la guerre.

Il n’y a plus de compétition, mais les journaux du monde entier commencent à envoyer leurs correspondants. En 1969, le festival universitaire devient festival mondial du théâtre. La municipalité est franchement hostile. Mais Jack Lang mobilise ses amis. Journalistes, professionnels et spectateurs envahissent la ville. Les spectacles se jouent partout, à toute heure, débordent sur la banlieue. Il y en a tant qu’il est impossible de les voir tous. Les salles sont trop petites pour accueillir le public. Le Bread and Puppet revient sous chapiteau avec une fresque grave et flamboyante, Le Cri du peuple . Les Campesinos jouent, pour la première fois en Europe, La Tête réduite de Pancho Villa . Les débats, nombreux, se transforment en meetings.

Les dossiers des troupes, prêtes à prendre le risque de venir à leurs frais, car le festival est pauvre, s’accumulent. Jack Lang décide alors d’espacer la manifestation tous les deux ans, par manque de moyens et pour prendre le temps de choisir. Une équipe de prospecteurs bénévoles parcourt le monde. 1971 marque une apogée, avec le «choc» Bob Wilson dans Le Regard du sourd , un enchantement d’images après lequel rien au théâtre ne sera plus pareil. C’est aussi l’année des Latino-Américains: le Colombien Buenaventura ou le Brésilien Augusto Boal, avec des spectacles drus, directs, à la fois très professionnels et authentiquement populaires. Le Japonais Terayama Sh ji révèle des recherches avant-gardistes tirées de la tradition, fait éclater la violence grand-guignolesque de son univers sulfureux. L’Anglais Pip Simmons conduit Lewis Carroll et son Alice dans un voyage hallucinatoire porté par les vagues grinçantes des guitares électriques. Et le Polonais Kantor installe dans une cave les figures blêmes de son humour morbide: c’est La Poule d’eau .

Jack Lang est nommé en 1972 directeur du Théâtre national de Chaillot. Il confie donc la codirection, puis la direction du festival, dont il reste le président et l’élément moteur, à Lew Bogdan, qui fait venir d’Europe de l’Est des groupes de tradition populaire, avec leurs fables naïves, leurs costumes éclatants. De Java, vient aussi le très professionnel Sardono, qui fait découvrir l’extraordinaire richesse d’un théâtre dansé, millénaire, et contemporain. Le 1^er mai, au cours d’une manifestation, les C.R.S. interviennent. Mais le festival est désormais trop important pour être attaqué de front.

En 1975, Jack Lang, qui se voit retirer la direction de Chaillot, donne, parallèlement aux spectacles, une direction politique au festival. Il organise un colloque sur le sous-développement culturel dans les régions. Les troupes et les spectateurs sont si nombreux que l’équipe d’organisation est débordée et que la confusion risque d’étouffer le festival. 1975 reste cependant l’année de Pip Simmons qui revient avec An die Musik , poignant et splendide cauchemar sur l’humiliation et les camps de concentration. Le collectif munichois Rote Rübe révèle son art cinglant et sophistiqué, portant le cabaret brechtien aux dimensions des foules. À l’opposé, le New-Yorkais Robert Anton, pour dix-huit personnes, échange avec des poupées miniatures créées à son image un dialogue silencieux et pervers, déchirant.

L’inflation des troupes est telle que, sous la direction de Michèle Kokossowski-Bogdan, qui a pris la direction du Stadt Theater de Bochum, a lieu, en 1976, un festival de transition sur le thème du rire, d’où se dégagent les délires du clown rocker Jango Edwards. En 1977, le festival marque le pas et fait appel aux institutions. La manifestation la plus importante est hors théâtre, dans un meeting de réflexion politique: les assises internationales Europe-Amérique latine. La danse prend une place importante avec Pina Bausch et l’Opéra de Wuppertal dans deux spectacles Brecht et Stravinski, d’une agressivité que bien des hommes réprouvent. À l’exception du Squat, des Hongrois exilés aux Pays-Bas, culturels, esthétisants et provocateurs, les troupes nouvelles n’apportent pas ce qu’on pouvait en attendre. 1977 est aussi l’année du souvenir, et la plupart des participants sont des anciens: le Bread and Puppet, le Rote Rübe, la Cuadra et Kantor, qui triomphe avec La Classe morte . Le festival est aussi marqué par la contestation. Cette fois, c’est Jack Lang qui est contesté par son équipe. Le festival est trop grand pour ses moyens. La fougue, la foi et l’artisanat ne peuvent plus suffire. Les conditions de travail sont trop dures. Le mouvement théâtral dans le monde piétine. La curiosité s’amenuise, les difficultés financières des salles et des institutions qui prenaient le relais de Nancy pour accueillir les spectacles font le reste. Les groupes, dont beaucoup se sont endettés pour venir, se retrouvent chômeurs en France sans avoir parfois leur billet de retour. Seules les troupes officielles, dont les frais sont payés par leur gouvernement, peuvent tenter l’aventure. Le festival doit faire peau neuve.

Jack Lang devient conseiller municipal (socialiste) à Paris. Lew Bogdan quitte Bochum et envisage d’organiser un atelier international permanent en faisant appel à des comédiens professionnels, à de grands metteurs en scène. La recherche aujourd’hui est une activité coûteuse, mais seules restent immuables la pauvreté du festival et l’indifférence hostile de la municipalité.

En 1983, la direction du festival passe à la yougoslave Mira Tralovi が, par ailleurs directrice du B.I.T.E.F. (festival international de Belgrade). Cette dernière, constatant la vanité d’une course à une avant-garde qui n’existe plus, préfère rehausser le niveau de la manifestation en battant le rappel de troupes confirmées. En 1984, elle obtient que l’organisation du Théâtre des Nations — traditionnellement confiné au cercle prestigieux des grandes capitales — soit confiée au festival de Nancy, ce qui représente pour celui-ci une manière de disparition.

Encyclopédie Universelle. 2012.